"La liberté de religion dans le monde, une situation préoccupante". Entretien avec Docteur Amicarelli de FOB

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Alessandro Amicarelli

Nous publions l'interview faite par Roberto Guidotti au président de FOB, l'avocat Alessandro Amicarelli qui est publiée aujourd'hui par La Notizia.net.


La liberté de religion dans le monde est une situation préoccupante

Même au XXIe siècle, les droits individuels et la liberté de religion et de conviction ne sont pas aussi protégés qu'on aurait pu s'y attendre il y a quelques décennies. Depuis janvier 2015, la Fédération Européenne pour la Liberté de Croyance - FOB, une fédération d'associations créée en tant que plateforme laïque, défend les droits des croyants, des non-croyants et des athées en luttant ouvertement contre la discrimination religieuse, y compris les distinctions arbitraires entre «religion » et « secte », souvent diffamatoires pour les minorités religieuses. Nous avons discuté de la situation actuelle avec le président de FOB, l'Italien Alessandro Amicarelli.

Docteur Amicarelli, quelle est la situation actuelle de la liberté religieuse dans le monde ?

Les situations préoccupantes sont nombreuses, non seulement dans les pays où les libertés sont moins présentes que, par exemple, aux États-Unis ou dans les pays européens, mais on retrouve aussi ces situations préoccupantes dans certains pays européens. Récemment, le gouvernement français a proposé une loi anti-séparatisme conçue pour lutter contre l'islam radical et les soi-disant sectes. Pour une étude approfondie de ce sujet, je me réfère à l'étude que nous avons menée avec Massimo Introvigne du CESNUR et d'autres chercheurs renommés, aboutissant au Livre blanc « Séparatisme, religions et cultes: questions de liberté religieuse - Un livre blanc » disponible en italien et anglis sur notre site Web.

En Allemagne également, il y a des situations désagréables, pensez par exemple au filtre anti-secte, dénoncé par Bitter Winter, selon lequel pour certaines embauches ou pour occuper certains postes, il faut déclarer que vous n'êtes pas membre de certains groupes religieux. Sous un jour positif, il y a eu des développements, bien qu'encore embryonnaires, grâce à l'initiative, des États-Unis avec la Conférence ministérielle pour la promotion de la liberté de religion dans le monde, dont la première édition a eu lieu à Washington DC en juillet 2018, attirant des représentants de plusieurs dizaines de pays à travers le monde et ce fût un tel succès qu'elle est immédiatement devenu un événement annuel : la conférence s'est maintenue en 2020, bien qu'organisée en ligne, et ce malgré la restriction Covid.

Pensez-vous que la pandémie de Covid-19 a pu jouer un autre rôle négatif ?

Il ne fait aucun doute que les restrictions dues au Covid ont aggravé l'exercice de la liberté religieuse, ainsi que de nombreuses autres libertés, et certains abus de la part des États n'ont pas manqué. En tant que réseaux d'universitaires au niveau international, nous avons pris des mesures pour dénoncer les abus et en même temps pour signaler les initiatives positives pendant les périodes de restrictions les plus difficiles.

Le travail dans les coulisses ne s'est pas arrêté, et comme FOB, CESNUR, Bitter Winter, Human Rights Without Frontiers, ORLIR (Observatoire international de la liberté religieuse des réfugiés), Soteria International, CAP Liberté de Conscience, All Faiths Network et autres organisations, nous avons sans cesse continué notre travail au travers de nombreuses initiatives telles que des conférences en ligne, des textes publiés, des propositions constructives et plus encore. Nous avons soutenu une proposition intéressante et équilibrée élaborée par le DiReSom Research Group (Law, Religions, Multicultural Society), composé de professeurs et de chercheurs de nombreuses universités italiennes, de Messine à Trente, dans laquelle un ensemble raisonnable de lignes directrices pour la réouverture prudente des lieux de culte en Italie - fermés sur ordre du gouvernement sans exception lors de la première quarantaine, - ont été proposés.

Je rend compte ici d'une initiative du 3 septembre 2020 sur la persécution des Témoins de Jéhovah en Russie, organisée de concert avec l'Université de Vilnius en Lituanie, qui a vu la participation de chercheurs de différents continents et a abouti à un rapport final de la conférence et, par la suite, de la publication d'un Livre blanc « Les nouveaux gnomes de Zurich: les témoins de Jéhovah, le cas des espions et sa manipulation par l'anti-secte et la propagande russe », dans lequel, avec Massimo Introvigne, nous déconstruisons un théorème fictif développé par les groupes anti-sectes contre les Témoins de Jéhovah. Les groupes anti-sectes réunis dans l'organisation appelée FECRIS, la Fédération européenne des centres de recherche sur le sectarisme et leur philosophie agressive derrière la pratique antireligieuse ont été sévèrement attaqués et dénoncés par la Commission bipartite des États-Unis, l'USCIRF - La Commission américaine pour la liberté religieuse internationale - qui a demandé aux gouvernements de mettre fin à la violence de la FECRIS contre les minorités religieuses, qu'elle accuse à la hâte d'être des sectes, et veut interdire leurs activités ce qui va à l'encontre des droits humains fondamentaux universels. A noter que la FECRIS est financée à 90% par le gouvernement français.

Quelles sont les églises ou mouvements qui souffrent le plus de discrimination ou de persécution réelle ?

En plus du cas des Témoins de Jéhovah que j'ai mentionné ci-dessus, nous avons traité des cas de violation de la liberté religieuse en Chine, où l'Église de Dieu Tout-Puissant et des musulmans de souche ouïghoure sont dans des camps d'éducation par le travail requis par le gouvernement chinois pour les transformer en citoyens rééduqués dans la doctrine du gouvernement chinois. Ces camps, qui évoquent les camps nazis dans l'organisation et les pratiques, ont été portés à l'attention du grand public par Bitter Winter, dont l'actualité a ensuite été reprise par les médias internationaux.

Nous avons travaillé avec d'autres groupes, sur le cas de l'Église Shincheoji, traitée en Corée du Sud comme une secte dangereuse et signalée, dans une campagne politico-médiatique de chasse aux sorcières, comme responsable de la propagation du Covid-19.

Enfin, nous avons traité le cas du groupe spirituel et de Qi Gong taïwanais, Tai Ji Men, qui a eu un problème avec le bureau des impôts depuis des années, malgré le fait que la magistrature à tous les niveaux ait annulé toutes les requêtes de taxation de ce groupe spirituel.

Ces derniers mois, des discussions ont également eu lieu en Italie sur l'interdiction des Témoins de Jéhovah en Russie depuis 2017. Comment motivez-vous les attaques brutales contre les libertés individuelles des individus appartenant à ce mouvement, traditionnellement connu pour son attitude non violente ?

Les Témoins de Jéhovah faisaient partie des victimes des camps de concentration nazis, et ce, avec la contribution du gouvernement italien, et souvent victimes de véritables persécutions également dans l'Italie démocratique et républicaine, arrêtés pour prosélytisme et objection de conscience au service militaire ou aussi pour refus d'accomplir le service alternatif. En tant que FOB, nous avons longuement traité du thème des Témoins de Jéhovah et nous avons rappelé les campagnes de haine en place dans les années 1990 et 2000 contre les Témoins de Jéhovah par des organisations anti-sectes opérant dans différentes régions d'Italie, dont les traces d'intolérance sont toujours présentes sur le territoire national. En tant qu'organisation de défense des droits de l'homme et de la liberté religieuse, nous avons dénoncé à plusieurs reprises la situation particulière en Russie, largement causée par la présence en Russie d'organisations liées à la FECRIS susmentionnée, dont le vice-président russe, Alexander Dvorkin est un militant de la haine contre les Témoins de Jéhovah, qui a oeuvré à la déclaration d'illégalité de l'organisation des Témoins de Jéhovah en Russie identifiée comme un groupe extrémiste.

Il convient de rappeler, comme nous l'avons fait dans le rapport final de la Conférence sur les Témoins de Jéhovah de septembre 2020, que le président Poutine a déclaré à plusieurs reprises qu'il ne comprenait pas la raison de la persécution des Témoins de Jéhovah, et même en 2017, peu après leur déclaration comme une organisation extrémiste, il a décerné à une famille de Témoins de Jéhovah le titre de famille de l'année. Certes, il y a en Russie une partie de la société qui montre une intolérance claire à l'égard des groupes minoritaires, avec une fureur particulière envers les Témoins de Jéhovah et l'Église de Scientologie, mais aussi des groupes islamiques totalement pacifiques et d'autres groupes minoritaires chrétiens; d'un autre côté, une partie de la société russe s'est ouvertement opposée à leur interdiction en 2017, y compris le président Poutine, ce que les anti-sectes et la plupart des médias italiens oublient de rappeler.

De nombreuses institutions européennes et internationales telles que l'OSCE, l'UE, l'UNHRC ou des États individuels tels que le Royaume-Uni, l'Allemagne et les États-Unis ont condamné le comportement des autorités russes. Pensez-vous que cela pourrait conduire à un allégement de la persécution?

Les États le plus enclins à respecter la liberté religieuse sont tout d'abord les États-Unis et le Royaume-Uni, le pays dans lequel je vis et suis actif depuis plusieurs années, ont toujours fait pression pour que cesse la persécution des Témoins de Jéhovah et d'autres groupes dans les pays et les territoires moins attentifs à la protection de la liberté de croyance, comprenant la Russie. Le même type d'intervention a été initié par des organisations internationales comme celles que vous avez mentionnées. Parmi les nations vertueuses, en termes de protection de la liberté religieuse, nous voudrions également inclure l'Italie, mais le beau pays doit encore faire quelques pas en avant pour pouvoir se qualifier de pays pleinement respectueux des minorités religieuses. L'effort doit d'abord se situer au niveau culturel et s'accompagner d'une intervention législative pour mettre à jour les principes constitutionnels, qui trop souvent ne sont pas mis en pratique.

Chaque année, lors de la réunion de mise en œuvre de la dimension humaine, organisée par l'OSCE, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, pour discuter des questions liées aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, de nombreux pays, dont l'Italie, la France, la Russie et d'autres, ont été interrogés avec une demande d' éclaircissements sur la raison du manque de protection de la liberté de croyance et souvent les réponses données par les représentants du gouvernement sont tout simplement déconcertantes. Pour cette raison, le rôle des organisations internationales, d'universitaires, de professeurs d'université et de chercheurs reste d'une importance fondamentale, en plus de dénoncer les violations, ils se positionnent positivement comme une source d'enrichissement pour l'opinion publique et comme un outil de conseil pour les institutions qui ont certainement besoin du soutien de spécialistes.

Pour en revenir à la Russie, les choses ne changeront que si le pays fait un sérieux pas en avant et jusqu'à ce que cela se produise, toutes les pressions exercées par d'autres États, par les organisations internationales et certainement par les organisations humanitaires et éthiquement irréprochables et alertes sur ces questions, et par les journalistes sont les bienvenues.

Pour revenir à l'Italie, quel rôle jouent les médias dans la formation de l'opinion publique à l'égard des minorités religieuses, ethniques ou autres? Et comment évaluez-vous le comportement des médias ces derniers temps ?

L'attitude que je qualifierais de respect envers l'Église catholique et la personne du Souverain Pontife romain de la part de la plupart des médias italiens, qui consacrent amplement d'espace à la religion majoritaire du pays, est compréhensible. Moins compréhensible est l'absence totale de place pour les religions et les spiritualités minoritaires au sein des médias, surtout si l'on pense au service public qui devrait au contraire assurer une certaine équité qui tarde grandement à être assurée.

Malgré le fait que 37 ans se soient écoulés depuis le nouvel accord de 1984, et bien que de nombreux accords avec des confessions religieuses aient été entérinés, et bien que l'Italie ait des obligations internationales précises, il n'y a pas de changements particulièrement intéressants et remarquables en ce qui concerne les religions minoritaires et les spiritualités dans les médias. Si l'on pense que la religion catholique reçoit une attention quotidienne sur tous les réseaux publics, avec diverses émissions dédiées et aussi au sein de l'actualité, et qu'en revanche, dans le service public, seul le réseau 2 [N of T: de la télévision d'État RAI] accorde un petit espace pour les communautés non catholiques, ne diffusant que deux émissions, spécifiquement consacrées au "protestantisme" et à "source de vie", qui sont diffusées très tard dans la nuit et seulement toutes les deux semaines, assurant ainsi très peu d'heures par an à la communauté juive et les communautés protestantes, les autres communautés religieuses ne reçoivent pas la moindre attention. Par exemple, si vous pensez à la communauté islamique qui est numériquement la deuxième plus grande communauté religieuse d'Italie, la différence de traitement est plus qu'évidente.

Le manque d'attention positive aux communautés religieuses minoritaires va de pair avec la présence d'une stigmatisation systématique contre l'islam et d'autres communautés religieuses et spirituelles traitées comme des sectes, avec des campagnes médiatiques au sein d'émissions nationales populaires. Y sont sont invités en tant qu’experts des personnes qui ne font que diffuser les clichés et les stéréotypes contre des communautés respectées dans d’autres pays. Le même cliché s'applique souvent à d'autres minorités, telles que les minorités ethniques. Trop peu d' attention est portée aux minorités linguistiques nationales, par exemple celles des langues ladine, frioulane, française, allemande ou autres.

Que pensez-vous que la communauté internationale peut faire de plus pour lutter contre le fléau des violations des droits de l'homme et de l'exercice de la liberté religieuse?

La communauté internationale a fait et fait beaucoup dans ce secteur; le problème vient des Etats qui retardent la mise en œuvre effective, des dispositions contenues dans les instruments internationaux de protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que les Etats eux-mêmes ont contribué à faire adopter. L'éducation des jeunes est sans aucun doute la première étape à franchir, mais jusqu'à ce que le législateur intervienne par des interventions concrètes, jusqu'à ce que les écoles publiques d'un État qui se dit laïc dispensent un enseignement religieux confessionnel, jusqu'à ce qu'il autorise les journaux et les émissions de radio et de télévision à poursuivre les stéréotypes et les préjugés contre les minorités religieuses et spirituelles qualifiées de sectes, jusqu'à ce que les principes constitutionnels sacro-saints tels que l'égalité de tous les individus et la liberté religieuse soient bientôt réalisés, rien ou peu ne sera réalisé.

Concluant de manière positive notre organisation Fédération Européenne pour la Liberté de Croyance - FOB - une organisation laïque indépendante de toute dénomination et qui travaille pour tous, croyants et non-croyants, à l'occasion de la Convention Internationale FOB, "Liberté de Croyance en Europe , un voyage difficile", un événement extrêmement réussi qui s'est tenu à Florence en janvier 2018, sous les auspices du Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, et honoré de la Médaille du Président de la République Mattarella, témoigne de l'attention portée par le plus haut représentant de la République italienne et donne bon espoir pour l'avenir de nombreuses communautés religieuses et spirituelles en Italie. A cette occasion, nous avons lancé un appel aux nations européennes pour la mise en œuvre dans les pays européens, de la législation internationale sur les droits de l'homme et la liberté religieuse pour tous, également présentée au Palais des Nations Unies à Genève.

Roberto Guidotti

Source: La Notizia.net